lundi 7 juillet 2008

Les aventures de l'incorrigible Monsieur I.

Monsieur Idéaliste était un homme entre deux âges, seul. Il habitait au beau milieu d'un quartier tranquille, pas vraiment central, pas vraiment périphérique. Si Monsieur I. avait été américain, il aurait sans doute élu domicile à Wisteria Lane; mais comme il est français, il habite dans un pavillon d'une étonnante neutralité, à 15 minutes du centre ville de Montpellier ou de Strasbourg, cela importe peu. Monsieur I. est partout.
JAMAIS une trace de doigt sur les verres de ses lunettes, les mêmes qu'il s'était offert pour un de ses anniversaires, jour qui coïncidait étrangement avec celui de la mort du Général De Gaulle. Son apparence appartenait au passé. Ses manches étaient parfaitement à égale distance de ses poignets. Toujours rasé de frais. Le dimanche, il cirait ses Paraboot comme d'autres astiquent leur voitures.

Son plus bel accessoire était avant tout son sourire: béat, figé. Toujours le même. Monsieur I. ne s'en débarrassait que pour dire "mes sincères condoléances à vous et à votre famille, je partage votre peine et votre deuil". C'était le genre de sourire que seuls arboraient les curés de petites paroisses, ceux qui ont un très faible rapport avec les choses matérielles et l'argent. Le genre d'expression qui rassure les bigots mais faisait froid dans le dos aux athées et autres libres penseurs. Sûrement souriait-il pendant son sommeil, sûrement sourirait-il au plafond sur son lit de mort.

Notre idéaliste n'était pas curé, il avait un rapport avec les choses matérielles, aussi discret soit-il. Sa maison blanc craie tranchait par sa simplicité sur les bâtisses d'un beige insolent qui l'entourait. Monsieur I. avait repeint entièrement sa façade après que des enfants y ait lancé un œuf, un 31 octobre. Son intérieur était sobre, mais entièrement équipé des choses (f)utiles de notre époque.

Monsieur I. était un jeune retraité, il avait longtemps était dévoué aux Restos Du Cœur, lieu dans lequel il s'était tissé un mince et superficiel réseau de sociabilité. Il avait décidé maintenant de s'investir dans la construction d'une école à Madagascar, "parce qu'il y avait de la misère dans le monde, bien pire encore que celle qu'on trouve au pas de sa porte".
L'Idéaliste avait une foi infinie en l'
homo sapiens. Pas vraiment celle des grands homme, une foi simple, entière, naïve. Le genre d'homme qui sauverait n'importe quel être humain, bon ou mauvais, sans rien en échange, sans reconnaissance aucune, ni même un accès direct au paradis. Monsieur I était un homme bon, c'est tout, c'est vrai. HORS DU TEMPS.
Le genre de type capable de confier son chéquier à une personne démunie pour qu'elle aille se faire un bon restaurant.

Monsieur I. ne fermait jamais la porte de chez lui. JAMAIS. Et sa confiance en l'être humain lui avait toujours rendu la monnaie de sa pièce. Selon ses dires, sa clé était "la bonté qui résidait au fond de l'âme de chacun de nous, qui même recouverte par des tonnes de boue, finissait toujours par remonter à la surface".
Il avait tout de même pris UNE précaution, un mot tout en pleins et déliés, affiché ostensiblement dans l'entrée:
"
Monsieur le cambrioleur,
Si vous êtes une personne dans le besoin, prenez de quoi manger pour vous et votre famille dans mon réfrigérateur. Sachez que je ne vous juge pas monsieur le cambrioleur, je pense que pour en arriver là, la vie n'a pas été tendre avec vous. Je serais sincèrement enchanté de vous portez une assistance morale, si vous aviez l'amabilité de vous présenter chez moi dans des circonstances plus conventionnelles. Et puis j'ai de très bonnes relations aux Restos du Cœurs. Mais je vous en conjure, essayez de retrouver le bon chemin, vous pouvez être quelqu'un de bien, vous ETES quelqu'un de bien. Prière de ne pas toucher à mes effets personnels. Ma porte vous reste grande ouverte, sans animosité aucune."

Le papier avait jauni depuis sa rédaction.

Ce matin, Monsieur I. revenait de l'agence de voyage, il avait sur lui un billet pour Antananarivo. Il inaugurait son école malgache le surlendemain. Son perpétuel sourire était plus significatif que jamais.

Un papier balafré par des gribouillis était littéralement planté sur sa porte blanche, funeste missive:
" Messieu la bone ame, merci pour le poulet, la sauce tommate et le somon fumé. Je vais beaucoup mieux. Je trouverait surement une place chez moi pour le lecteur DVD, l'ordinateur portable, vos quelques tableaux, votre argentrie. Comme la nature fait bien les choses, je chausse aussi du 44 et j'adore vos chaussures en cuire. Je suis sur le chemin du salu, grasse à vous je n'aurè plus besoin des Restos du Cœur. Merci de laissez votre porte grande ouverte. Et sacher que votre
femme porte des souvétements très afriolents."
Et au dos, comme une sentence de mort "les jens vraiment bien, ça n'existe pas"


Monsieur Idéaliste fût avalé tout crû par la société, plus personne ne le revis jamais. Nul souvenir de lui. Aucune trace de ses actions en ce bas monde. A la place de sa maison: un terrain vague.


Toujours est-il que Monsieur I n'avait jamais eu de
femme. Etrange...